Le calvados, seulement un produit régional?

Pourtant plusieurs fois centenaire, tout comme ses cousins du sud-ouest, le calvados continue de pâtir d'une image de produit régional. A tort ou à raison? Focus sur un alcool mésestimé.

Quiconque s’est déjà promené dans les ruelles de Honfleur ou Trouville a vu les caves et les boutiques de souvenirs regorger de bouteilles de calvados. Or, dès que l’on quitte la Normandie les eaux-de-vie normandes se font plus rares sur les rayons des cavistes. Est-ce à dire que le calvados est cantonné au rôle de produit régional ? De l’histoire à l’élaboration, Monsieur Baco vous raconte le calvados.

Le calvados, un pilier méconnu de la tradition spiritueuse française

Alors que l’on appose aisément les adjectifs « séculaire », « ancestral », « centenaire », vecteurs de noblesse et de profondeur, à l’armagnac et au cognac, on associe plus volontiers le calvados au « trou normand », sorte d’interlude gaillard entre deux plats, immortalisé par Louis de Funès dans La zizanie. Cependant, loin des clichés, l’histoire du calvados n’a rien à envier à celle de ses cousins du sud-ouest.

Des premiers arbres à l’eau-de-vie

L’histoire du calvados a des racines aussi profondes que ses arbres. Si c’est entre la fin du XVIème siècle et le début du XVIIème siècle que la distillation a pris son essor, la production de cidre et de poiré, servant de base à la production de calvados, remonte en réalité au début du deuxième millénaire. C’est en effet entre les Xème et XIIème siècles que les pommiers à cidre sont importés de la Biscaye au nord-ouest de l’Espagne vers la Normandie. A l’inverse, les poiriers seraient quant à eux endémiques et constitueraient la plus ancienne espèce arboricole de Normandie.

En outre, alors que la distillation de vin en Charente et en Gascogne a découlé de la nécessité pour le commerce maritime d’assurer la conservation des marchandises durant le transport, la distillation de cidres et poirés a davantage été dictée par les variations de production de cidre. Les variations importantes du volume des récoltes d’une année à l’autre, ont poussé les fermiers normands à distiller une partie leur production les années fastes afin de pérenniser leurs stocks.

Une consommation locale ancrée dans l’histoire

Tout comme l’export massif du cognac tire ses racines dans les anciens liens commerciaux qui reliaient la Charente à l’Angleterre, la régionalisation du calvados est également à replacer dans un contexte historique. En effet, à partir du XVIème siècle et jusqu’à la chute de l’Ancien Régime, le vin, particulièrement taxé, constituait une source importante de recettes fiscales pour la couronne. Ainsi, la commercialisation de cidre et poiré était particulièrement mal vue dans les régions productrices de vin. La commercialisation et la consommation d’alcools issus de pommes et de poire sont donc restées cantonnées à la Normandie, la Bretagne et le Maine pendant plus de deux siècles.

Aujourd’hui, la réputation du calvados a dépassé les frontières hexagonales : 55% des ventes se font à l’étranger (source IDAC). Cependant la demande reste relativement faible en France et les ventes, soutenues par le tourisme, se concentrent principalement dans la région.

Le terroir

L’herbe normande, un rôle qui dépasse le cadre de la carte postale

Quand on pense à la Normandie, on pense bien souvent à des vergers verdoyants. Seulement, l’herbe n’a pas qu’une qualité esthétique. Elle joue en réalité un rôle important dans la culture des fruits. En captant l’azote présent dans le sol, l’herbe va limiter la présence d’azote dans les fruits et réguler ainsi leur vitesse de fermentation. De plus, le tapis herbeux permet d’amortir la chute des fruits arrivés à maturité.

Poires arrivées à maturité calvados
Poires arrivées à maturité (photo de Julien Boisard, IDAC)

Les vergers

Deux types de vergers sont cultivés en Normandie :

  • Les vergers haute-tige : la croissance relativement lente (minimum 7 ans, pleine maturité vers les 15 ans) et le rendement modéré, donnent les fruits les plus intéressants. La hauteur des arbres permet en outre l’élevage d’animaux, notamment des vaches, qui contribueront à entretenir la biodiversité, à débarrasser les sols des fruits tombés trop tôt et à éloigner les nuisibles. C’est ce que l’on appelle les « pré-vergers ».
  • Les vergers basse-tige : à l’inverse, les arbres plus bas ont une croissance plus rapide (minimum 3 ans, pleine maturité vers 8 ans), offrent de meilleurs rendements, supérieurs aux arbres plantés en haute-tige et permettent une récolte plus facile. Ce type de verger s’est fortement développé dans les années 70. Aujourd’hui, la demande croissante pour une agriculture plus durable contribue à l’abandon progressif de ce type de culture. Les arbres plantés en basse-tige ont également une durée de vie moindre.
Pré-verger calvados
Pré-verger (photo de Julien Boisard, IDAC)

Contrairement aux pommiers, les poiriers connaissent une croissance plus lente (il faut parfois attendre 15 ans avant d’obtenir les premiers fruits). Ils ont une durée de vie souvent centenaire et peuvent atteindre 15 mètres de haut.

Poirier calvados
Poirier (photo de Julien Boisard, IDAC)

Les fruits

230 variétés de pommes et 139 variétés de poires sont autorisées pour la production de cidre et de poiré à distiller (ces nombres varient en fonction des appellations). Il s’agit de variétés différentes des pommes et poires de table destinées à la consommation. 4 catégories de pommes sont utilisées pour produire du cidre :

  • Douces : plus aromatiques mais aussi plus sucrées, elles contribuent à développer le taux d’alcool.
  • Douces-amères : conjuguant sucre et tanins, elles constituent la base des cidres et dominent les vergers.
  • Amères : plus tanniques et moins sucrées elles apportent de la structure aux cidres.
  • Acides : elles apportent de la longueur, de la fraîcheur et participent à la conservation.

Les variétés phénoliques (amères et douces-amères) doivent constituer au moins 70% des vergers. La saison s’étire d’octobre à janvier et les fruits sont le plus souvent récoltés après leur chute.

L’élaboration

Après récolte, les fruits sont broyés ou râpés pour obtenir une pulpe dont le jus est extrait par pressurage. Le jus est mis à fermenter jusqu’à l’obtention d’un cidre titrant à 4,5% minimum. A ce stade, il s’agit d’un cidre tranquille. Les cidres effervescents destinés à être embouteillés sont obtenus après une fermentation prolongée en bouteille donnant lieu à une prise de mousse.

Le cidre est ensuite distillé et mis à vieillir en fûts de chênes. Comme il est possible de distiller toute l’année, l’âge du cidre revêt une certaine importance : un cidre jeune donnera des eaux-de-vie fruitées et souples tandis qu’un cidre plus vieux donnera des eaux-de-vie plus complexes et aptes au vieillissement.

L’humidité des chais normands contribue à maintenir le niveau d’eau des eaux-de-vie et à faire diminuer le taux d’alcool progressivement.

Les mentions de vieillissement

  • « Trois étoiles », « trois pommes », « VS » = 2 ans minimum.
  • « Vieux » ou « Réserve » = 3 ans minimum.
  • « V.O. », « Vieille Réserve » ou « VSOP » = 4 ans minimum.
  • « Hors d’Âge », « Très Vieille Réserve », « XO », « Très Vieux », « Extra », « Napoléon » = 6 ans minimum.

Les 3 AOC en bref

Le Calvados fait l’objet non pas d’une mais de trois AOC réparties sur des aires géographiques précises.

Carte de l'aire géographique des AOC Calvados
Aires des AOC (IDAC)

Calvados

  • 35% minimum de vergers sont plantés en haute-tige.
  • Le délai minimal pendant lequel s’effectue la fermentation est de 21 jours.
  • La distillation s’effectue en alambic à repasse ou en colonne de façon continue.
  • La durée minimale de vieillissement en fûts de chêne sessile (quercus petraea) ou pédonculé (quercus robur) est de 2 ans.

Calvados Pays d’Auge

  • Les sols pauvres et peu profonds composés majoritairement de coteaux argilo-calcaires, parfois limoneux, siliceux, comprenant des silex, limitent la vigueur des arbres et donnent des fruits plus petits, plus concentrés en tanins et en sucres.
  • 45% minimum des vergers sont plantés en haute-tige.
  • La proportion de poiré à distiller ne peut excéder 30%.
  • Le délai minimal pendant lequel s’effectue la fermentation est de 21 jours.
  • La distillation s’effectue en alambic à repasse (ce qui donne des eaux-de-vie plus délicates).
  • La durée minimale de vieillissement en fûts de chêne sessile (quercus petraea) ou pédonculé (quercus robur) est de 2 ans.

Calvados Domfrontais

  • Les sols profonds composés de limons éoliens, de schistes et de granites sont plus humides et conviennent parfaitement aux poiriers qui craignent la sècheresse.
  • 80% minimum de vergers sont plantés en haute-tige.
  • Les poiriers doivent constituer 25% des vergers.
  • La proportion minimale de poiré à distiller est de 30%.
  • Le délai minimal pendant lequel s’effectue la fermentation est de 30 jours.
  • La distillation s’effectue de façon continue en colonne (ce qui donne des eaux-de-vie plus robustes et fruitées).
  • La durée minimale de vieillissement est de 3 ans en fûts de chêne sessile (quercus petraea) ou pédonculé (quercus robur).

La mention « production fermière » désigne un calvados produit exclusivement sur l’exploitation du producteur.

Vers une modernisation d’une eau-de-vie pluri-centenaire

Afin d’inscrire le calvados dans l’air du temps, certains producteurs jouent sur l’élevage en utilisant des fûts de portos, de xérès, de cognac… Parfois, l’utilisation de certains fûts oblige les producteurs à requalifier certains embouteillages en « eau-de-vie de cidre ». En effet, le vieillissement en chêne américain quercus alba, ou mizunara japonais quercus crispula, n’est pas autorisé. A ce jeu-là, la maison Christian Drouin est passée maîtresse dans l’art de l’expérimentation comme en témoigne sa Blanche (eau-de-vie non vieillie) ou sa gamme Expérimental avec des finitions en fûts de chêne américain ayant contenu du rhum jamaïcain ou du whisky japonais. Citons également la maison Boulard et sa gamme 12 Barrels (finition en fûts de mizunara, fûts ayant contenu du rye…) ou encore Coquerel (bourbon).

En outre, et contrairement au cognac et à l’armagnac, la production de calvados reste majoritairement aux mains des producteurs. Notons tout de même l’arrivée récente sur le marché d’un embouteilleur indépendant : la maison 30 & 40.

Et le pommeau dans tout ça ?

Le pommeau de Normandie est un jus de pomme ou de poire muté (1/4 de calvados pour ¾ de moût). Il en résulte un apéritif titrant entre 16 et 18% dont le taux de sucres est d’au moins 69 grammes par litre. Le pommeau doit être vieilli au moins 14 mois en fûts de chêne.

Ce qu’il faut retenir

Le calvados est un spiritueux centenaire obtenu par la distillation de cidre de pomme et de poiré. Trois AOC protègent le style unique du calvados. Les fruits utilisés, plus tanniques, sont différents de ceux que l’on consomme crus. Il existe deux types de vergers : haute-tige (plus qualitatifs mais à la croissance plus lente et aux rendements inférieurs) et les vergers basse-tige (à la croissance plus rapide et aux rendements supérieurs). Tandis que le calvados Pays d’Auge est distillé dans un alambic à repasse (donnant des eaux-de-vie plus subtiles), le calvados Domfrontais fait la part belle aux poires, aux vergers haute-tige et est distillé de façon continue dans une colonne (donnant des eaux-de-vie de caractère). De plus en plus de maisons expérimentent des élevages dans des fûts de chênes étrangers ayant contenu différents alcools quitte à perdre leur AOC.

(Image de couverture par Julien Boisard | IDAC)

Vous pourriez aussi aimer...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.