Le raisin dans tous ses états – Partie 1 : Les marcs d’Alsace

Monsieur Baco reprend du service et inaugure une série d’articles consacrés aux marcs et fines de France tombés injustement en désuétude. Première étape : l'Alsace!

Après avoir présenté les eaux-de-vie françaises les plus connues, Monsieur Baco inaugure une série d’articles consacrés aux marcs et fines de France. Ces alcools obtenus à partir de marc de raisin ou de vin distillé (fine) restent confidentiels et leur production a pratiquement disparue de certaines régions. La première partie sera logiquement consacrée aux marcs d’Alsace, région dans laquelle la distillation de marc de raisins est restée la plus vivace.

Introduction

Bien que tous les terroirs viticoles français témoignent d’une richesse et de caractéristiques propres, l’Alsace est une région à part. Il y a d’une part cette mosaïque de sols (13 types de sols), de terroirs (51 lieux-dits) et de cépages (8 cépages) d’une diversité folle, une élasticité rare dans le style de vins produits (de très secs à très doux) et surtout une utilisation totale de la matière première qui conduit un grand nombre de vignerons à distiller leurs marcs après la vinification pour leur consommation personnelle ou pour commercialiser les eaux-de-vie ainsi produites.

La distillation est une tradition fortement enracinée en Alsace depuis le début du 17ème siècle. La présence de petits fruits du verger et de plantes en moyenne-montagne permit rapidement à l’Alsace de s’imposer comme l’une des principales régions productrices d’eau-de-vie de fruits mais aussi de marcs. La distillation de marcs est attestée par une déclaration du Roy en 1713.

Bien que le nombre d’eaux-de-vie produites par un seul producteur donne le tournis (parfois jusqu’à 90), le Marc d’Alsace de Gewurztraminer est le seul des marcs d’Alsace à faire l’objet d’une Appellation d’Origine Contrôlée.

Qu’est-ce que le marc?

Le marc est la partie solide qui reste après que l’on a extrait le jus des raisins lors du pressurage. Le marc est donc principalement constitué des peaux, des pépins voire des pédoncules et des rafles lorsque les vendanges ne sont pas égrappées.

Marc de raisin
Marc de raisins (source : innaturale.com)

L’AOC Marc d’Alsace de Gewurztraminer en bref

Le Marc d’Alsace de Gewurztraminer fait l’objet d’une AOC depuis 1966. Voici une fiche reprenant les principales caractéristiques de l’appellation :

  • Fermentation : égrappage (on sépare le fruit des rafles pour éviter les arômes végétaux) des marcs obtenus par pressurage direct (sans macération des peaux dans le jus) puis fermentation dans des contenants fermés.
  • Distillation : la période de distillation commence 2 mois après le début des vendanges et se termine au plus tard le 30 avril de l’année suivante. Les marcs sont distillés 2 fois dans un alambic « à repasse » (comme à Cognac) avec une charge de 20hl maximum ou dans un alambic Holstein dont les plateaux ont été débrayés. Le titre alcoolique volumique (TAV) ne peut excéder 68,5% en sortie d’alambic.
  • Vieillissement : les eaux-de-vie ainsi obtenues doivent être vieillies minimum 3 mois et doivent être commercialisées blanches (pas d’élevage sous-bois).
  • Edulcoration : il est possible d’ajouter jusqu’à 10gr de sucres par litre.
  • Embouteillage : le TAV est de 45° minimum.

Tour d’horizon des producteurs et des marcs issus des différents cépages

Les marcs de la distillerie Lehmann et du domaine Christian Binner sont initialement ici présentés et pourront être rejoints ultérieurement par d’autres producteurs.

Distillerie J. et M. Lehmann

Fondée en 1850, la distillerie Lehmann est la plus ancienne d’Alsace en activité. Les fruits sont achetés pour la plupart à des producteurs locaux. L’alambic utilisé est de type charentais. Les eaux-de-vie sont mises à vieillir pendant 3 ans minimum en dame-jeanne fermées par un linge et parfois en fût.

Pour plus d’informations, voici une vidéo dressant un portrait très complet de cette maison : http://www.youtube.com/watch?v=yRyPTbaAWEo

Alambics de la distillerie Lehmann (source : visit.alsace)

Notes de dégustation

Les eaux-de-vie dégustées ont été achetées sous formes d’échantillons sur un site en ligne. Il est à noter que certaines des eaux-de-vie dégustées ne figurent plus dans la gamme du producteur. Les eaux-de-vie sont blanches et ont été dégustées avec le même verre tulipe. 

  • Marc de Pinot Noir, 45° :
    • Nez : résineux, avec des notes de genièvre de prime abord. Il y a une certaine fraîcheur qui évoque l’humus fraîchement retourné, la menthe poivrée. Les épices également (poivre blanc, girofle) et du fruit (poire william, touche de griottes). On trouve également une certaine suavité (sureau).
    • Bouche : l’attaque est assez ronde puis plus chaleureuse. On retrouve les notes résineuses et le genièvre du nez ainsi que la sensation bâton de réglisse. Très suave, la finale s’étire en longueur avec de légers amers.
  • Marc de Muscat, 45° :
    • Nez : plus floral (lys, géranium, rose, chèvrefeuille) et fruité (écorce de mandarine, litchi, raisin frais).
    • Bouche : l’attaque est douce et ronde. Des notes d’agrumes tout de suite arrivent (bergamote, clémentine) suivie par la pâte de fruits, les épices (cardamome, poivre noir). La finale est moyennement longue, dans le registre floral (géranium, rose).
  • Marc de Klevener, 45° :
    • Nez : oxydatif (noix, vieux meuble, menuiserie), rappelle certains vins doux naturels évolués. On trouve également du fruit (prune rouge, mûre, raisins secs, griottes à l’eau-de-vie).
    • Bouche : l’attaque est douce, rappelle le chocolat au lait aux fruits secs. On retrouve la noix ainsi que de la figue sèche. La finale est sèche et de longueur moyenne-longue.
  • Marc d’Alsace de Gewurztraminer, 45° (40€) :
    • Nez : assez puissant avec des notes marquées de rose et d’épices (piment de Jamaïque, safran). On trouve également des notes de fruits jaunes (mirabelle) et d’estragon au second plan ainsi que quelques touches d’agrumes (bergamote, fleur d’oranger).
    • Bouche : attaque est d’intensité moyenne sur les épices (piment de Jamaïque, muscade, cannelle). On retrouve également la rose avant de terminer par une longue finale sur le safran et la fleur d’oranger.

Avis : Les quatre eaux-de-vie ont été agréables à déguster, dans des styles différents et représentatifs des différents cépages. J’ai été particulièrement surpris par la complexité du marc de pinot noir et par le côté charmeur du marc d’Alsace de Gewurztraminer. Le marc de muscat, compense sa moindre précision par une certaine délicatesse tandis que le marc de klevener présente le profil oxydatif attendu pour ce cépage (savagnin rose).

Les eaux-de-vie peuvent être achetées sur le site de la distillerie en cliquant ici


Domaine Christian Binner

Le domaine Christian Binner est un domaine familial comprenant 40 parcelles réparties sur les communes d’Ammerschwihr, Katzenthal et Kientzheim, 2 lieux-dits et 3 Grands Crus dont Kaefferkopf. Très respectueux de la nature et dans une logique davantage qualitative que productiviste, les vignes du domaine sont certifiées Bio depuis 2008 et aujourd’hui travaillées en biodynamie avec des rendements en moyenne 2 fois moins élevés que ceux permis par le cahier des charges de l’appellation. En plus de sa production de vin, le domaine est également propriétaire bouilleur de cru et distille dans son alambic à repasse en cuivre ses propres marcs, lies, et fruits. Les eaux-de-vie Christian Binner sont toujours millésimées.

Domaine Christian Binner (source : alsace-binner.com)

Notes de dégustation

Les eaux-de-vie dégustées ont été gracieusement fournies par le domaine. Les tarifs indiqués sont ceux du domaine à destination des particuliers. Les eaux-de-vie sont blanches et ont été dégustées avec le même verre tulipe. 

  • Marc de Riesling Kaefferkopf 2015, 40° (43€) :
    • Nez : clairement sur la fraîcheur avec des notes d’eucalyptus, de camphre et légèrement épicé (carvi de hollande). On perçoit un registre plus floral (hibiscus) en arrière-plan ainsi que des notes de poivre rouge.
    • Bouche : l’attaque est assez sèche. Toujours empreinte de fraîcheur, on retrouve le carvi ainsi que du cacao amer en milieu de bouche. La finale est relativement courte sur les fleurs séchées et le poivre.
  • Marc de Riesling Kaefferkopf Sélection Grains Nobles 2003, 40° (52€) :
    • Nez : assez expressif avec des notes de genièvre, de cèdre, de fruits des bois (groseilles, mûres, cassis) ainsi que des notes de pâte d’amande et de cire d‘abeille.
    • Bouche : l’attaque est moelleuse, presque juteuse. La bouche se fait gourmande avec des notes de citron confit, de miel de bruyère. La finale est plutôt longue sur l’épice (curcuma).
  • Vieille eau-de-vie de lie de vin Sélection Grains Nobles 1998, 40° (54€) :
    • Nez : moins expressif, on discerne des notes de fruits cuits, et de tarte à la rhubarbe et à l’abricot. Une certaine fraîcheur (aiguilles de pin) se dégage.
    • Bouche : l’attaque est moelleuse. On retrouve le pin, un camphre léger avec du cacao en milieu de bouche. La finale est de longueur moyenne sur le poivre blanc et la réglisse.
  • Marc de Gewurztraminer (hors AOC), 2009, 40° (47€) :
    • Nez : très expressif, dominé par des notes florales (géranium, rose, violette) dans un premier temps puis par des notes d’agrumes (orange confite et bergamote). Au second plan on retrouve des fruits typiques du cépage (litchi, raisin frais) ainsi que des épices (gingembre, muscade) et une touche de citronnelle.
    • Bouche : l’attaque est moelleuse et florale. Les agrumes dominent avec des notes de zest de bergamote en milieu de bouche. La finale est plutôt longue sur l’épice (piment de Jamaïque).

Avis : Là où Lehmann s’attache à faire développer un style propre et charmeur, Christian Binner produit des eaux-de-vie moins régulières, plus brutes mais reflétant davantage le terroir et les millésimes. J’ai apprécié la gourmandise du Marc de Riesling SGN 2003 ainsi que la précision et la finesse du Marc de Gewurztraminer 2009. On apprécierait des degrés d’embouteillage un peu plus élevés pour laisser la matière première s’exprimer de façon débridée.


Distillerie J. P. Metté

Créée dans les années 1960 par Jean-Paul Metté, cette petite distillerie artisanale de Ribeauvillé qui s’est forgée au fil des décennies une solide réputation est aujourd’hui dirigée par Timothée Traber. Equipée de 3 petits alambics à repasse d’une capacité de 100, 140 et 150 litres, la distillerie produit 88 eaux-de-vie et 32 liqueurs. Les marcs proviennent des domaines du village (Sipp, Lorentz, Fuchs) tandis que les baies et les fleurs sont ramassés à la main dans les environs. Les fruits proviennent de France autant que possible. Les alambics sont nettoyés entre chaque produit pour garantir la pureté aromatique de l’eau-de-vie. Retrouvez notre article complet en cliquant ici.

Les alambics à repasse de la distillerie J. P. Metté
Timothée Traber et ses 3 alambics à repasse.

Notes de dégustation

La dégustation ayant eu lieu au caveau sur une durée limitée, les notes de dégustation seront donc moins précises et détaillées que celles des articles précédents. Le même modèle de verre tulipe a été utilisé pour l’ensemble des eaux-de-vie dégustées.

Marcs blancs (50cl)

  • Marc de sylvaner, 45° – (48€)
    • Nez : très frais, herbacé (eucalyptus, genièvre) puis plus suave avec l’ouverture.
    • Bouche : attaque franche avec du grain, bouche dynamique et fruitée avec une finale d’une certaine longueur sur le café froid.
  • Marc de riesling, 45° – (48€)
    • Nez : rond, résineux, évoquant une forêt humide ainsi que des notes de cacao.
    • Bouche : attaque douce, milieu de bouche herbacé avec des notes de camphre et de poivre blanc. La finale est longue.
  • Marc de muscat, 45° – (48€)
    • Nez : floral (rose, patchouli) et expressif.
    • Bouche : l’attaque est modérée, le milieu de bouche est très floral sur le géranium. La finale est plutôt longue.
  • Marc de pinot gris, 45° – (48€)
    • Nez : plus musqué, fruité (fruits rouges, pointe d’agrumes).
    • Bouche : l’attaque est douce, notes de fruits (mûres), d’épices (girofle, muscade). La finale est longue sur un cacao léger.
  • Marc de gewurztraminer, 45° – (48€)
    • Nez : plutôt en retenue, sur l’épice (gingembre), le fruit (litchi) et avec une certaine fraîcheur (eucalyptus).
    • Bouche : l’attaque est modérée, le milieu de bouche est épicé (gingembre) tandis qu’un registre plus floral s’invite dans une finale plutôt longue.
  • Marc de gewurztraminer Vendanges Tardives 1990 (issus du grand cru Altenberg de la maison Lorentz), 45° – (65€)
    • Nez : frais et floral, délicat et profond avec une pointe de cire d’abeille.
    • Bouche : l’attaque est douce, suave sur le cacao (pointe de chocolat blanc) et le poivre blanc. La finale est fraîche et d’une grande longueur.
  • Marc de gewurztraminer Sélection Grains Nobles 2000 (issus du grand cru Altenberg de la maison Lorentz), 45° – (78€)
    • Nez : assez pâtissier avec des notes de cire d’abeille, de pâte d’amande, de pain aux raisins et de raisins de Corinthe.
    • Bouche : l’attaque moelleuse est équilibrée par un certain grain en bouche qui apporte du relief. On retrouve du poivre blanc et de la muscade. La finale est plutôt longue.
  • Marc de pinot noir, 45° – (48€)
    • Nez : concentré sur le raisin frais, note d’aiguilles de pin, très frais (humus), prune mûre.
    • Bouche : l’attaque est marquée. Le milieu de bouche est très fruité et la finale est longue.

Avis : les marcs sont tous réussis de mon point de vue. J’ai eu un coup de cœur pour le marc de pinot noir qui présente une belle concentration. Les marcs de gewurztraminer VT et SGN impressionnent également par leur noblesse tandis que le marc de gewurztraminer classique est plus discret que chez Lehmann ou Binner.

Marcs d'Alsace de la distillerie Metté
Marcs issus de 6 cépages différents

Collection FASS (50cl)

FASS signifie « fût » en alsacien et désigne les 4 eaux-de-vie vieillies sous bois de Metté.

  • Fine d’Alsace (pinot blanc), 8 ans d’élevage en ex-fûts de cognac, 450 bouteilles produites, 42° – (58€)
    • Nez : épices douces (vanille, pointe de tonka), fruits du verger (poire, pomme golden), puis plus pâtissier (tarte poire amandine).
    • Bouche : l’attaque est modérée, on retrouve un profil similaire au nez sur l’épice douce (vanille, fève de tonka, cannelle) ainsi qu’une certaine gourmandise (tarte poire amandine toujours). Il y a de la mâche et la longueur est moyenne.
  • Fine d’Alsace (pinot blanc), 6 ans d’élevage en ex-fûts de cognac, 392 bouteilles produites, 55° – (73€)
    • Nez : ample, sur des notes de fruits cuits (pêches, pommes) d’amandes, de vanille et de cassonade.
    • Bouche : l’attaque est modérée (compte tenu du degré). Le milieu de bouche conjugue concentration et densité sur la prune, le safran ainsi qu’un léger camphre. La finale est chaleureuse et de longueur moyenne.
  • Marc de pinot noir, 6 ans d’élevage en ex-fûts de pinot noir, 415 bouteilles produites, 44,28° – (58€)
    • Nez : plus discret que la version blanche. On y décèle un boisé fin, des notes de raisin et de fruits confits. On retrouve la fraîcheur du marc blanc.
    • Bouche : l’attaque est modérée, les fruits secs et les épices marquent le milieu de bouche. La longueur est moyenne.

Avis : très belle réussite pour ces flacons produits en très petites quantités. La vieille prune envoute par sa concentration et sa profondeur tandis que les fines à base de pinot blanc en version détente (42°) ou sérieuse (55°) charment par leur gourmandise. Quant au marc de pinot noir, de belle facture également, je lui ai préféré sa version blanche.

Eaux-de-vie vieillies sous bois de la distillerie Metté
Collection Fass

Les eaux-de-vie Metté peuvent être achetée sur le site de la distillerie en cliquant ici.

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