Après avoir présenté l’une des plus récentes marques de cognac, Monsieur Baco avait à cœur de consacrer ce premier focus armagnac par l’incontournable maison Armagnac Castarède. Nous nous sommes donc rendus à la boutique parisienne, boulevard Haussmann où nous avons rencontré Florence Castarède, représentant la sixième génération de cette vénérable maison, toujours prête à présenter son histoire et ses eaux-de-vie avec générosité.
Du négoce à la production : une brève histoire du temps.
Le Château de Maniban
Maison de négoce fondée en 1832, la maison Castarède est également devenue productrice d’armagnac avec l’achat en 1979 du Château de Maniban situé à Mauléon d’Armagnac, dans le Gers. La famille commence aujourd’hui à voir l’aboutissement des travaux de restructuration entamés il y a quatre décennies.
« Il y a beaucoup de surprises, qui peuvent être joyeuses comme la découverte de fresques du XVIème siècle. Et de plus mauvaises surprises quand il faut faire toutes les toitures ou détruire les cuves en ciment qui devenaient poreuses et menaçaient de faire basculer le bâtiment. 2021 a été l’année de rénovation de l’outil de production ».
De la vigne aux chais
Domaine classé HVE niveau 3 depuis 2020, Florence Castarède aime rappeler qu’une vigne soignée et un vin de qualité constituent la base d’un bon armagnac.
« L’achat d’outils et de machines est nécessaire pour éviter les traitements phytosanitaires le plus possible. Au départ sur ce vignoble il y avait 3 cépages : ugni blanc, colombard et 1 hectare de folle blanche. Nous avons environ 16 hectares en tout. Il y a 4 ans, j’ai décidé de planter du baco. On a eu une première récolte l’année dernière dont on a perdu 50% à cause du gel. Nous avons fait une restructuration entière du vignoble car certaines de nos vignes avaient 60 ans. On a dû les arracher et les replanter. Petit à petit, je remplace une partie de l’ugni blanc par le baco. Je ne souhaite pas avoir plus d’un hectare de folle blanche car c’est un cépage très difficile, que je vieillis individuellement ».
La folle blanche, cépage fragile et capricieux a donc eu le droit à son propre chai, donnant naissance à une collection 100% folle blanche en brut de fût. Concernant le négoce, 90% des domaines fournissant la maison Castarède sont situés en Bas-Armagnac dont les sables fauves donnent des eaux-de-vie rondes, souples et fruitées.
Une distillation toute en douceur
Dans le prolongement de la restructuration du domaine, la maison a donc rénové le vieil alambic.
« Je suis très attachée à mes ancêtres. J’ai donc récupéré l’alambic de mon grand-père qui date de 1942 qui était dans la maison de négoce qui était initialement dans le Lot-et-Garonne et que j’ai rénové il y a 2 ans. Les spécialistes que je connais trouvent que c’est un très bon alambic car il distille de façon lente, autour de 55°. La seule transformation que l’on a fait c’est de passer la chauffe au gaz au lieu du bois initialement car c’est plus facile ».
La maison Castarède continue également de travailler avec un distillateur ambulant. Cela permet de jouer avec 2 profils de distillats différents.
Les chais, temples du temps
Là encore, rien n’égale l’ancien pour conférer aux eaux-de-vie une maturation optimale. Les fûts sont fabriqués par une tonnellerie artisanale du coin à base de chênes pédonculés de la région.
« Concernant le vieillissement, nous avons la chance d’avoir des chais du XVIème siècle, plutôt humides, en terre battue avec des vieux bâtiments. Les chais ont une hygrométrie constante et sont protégés des variations de températures. Cela donne des eaux-de-vie souples et rondes. Nos produits sont vraiment naturels. Dans la partie négoce, on a un chai plus sec car plus récent ».
Des défis en cascade
Un contexte sanitaire et géopolitique incertain…
La rénovation du domaine n’est pas le seul défi auquel doit faire face Florence Castarède. La filière comme le reste du monde a essuyé une succession d’événements dont l’issue semble s’éloigner de jour en jour. Après un premier coup dur marqué par la pandémie de Covid-19 qui a mis un sérieux coup de frein aux activités commerciales c’est la guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’économie qui douche les espoirs de rebond entrevus en ce début d’année.
« En général, le top 4 des pays à l’export pour l’armagnac c’est USA, UK, Russie et la Chine. Donc aujourd’hui, tout le monde tremble. (…) Vinexpo a été une bouffée d’oxygène pour tout le monde et en 2022 on reprenait espoir pour voyager et rencontrer nos clients de nouveau. J’ai rencontré mon importateur Ukrainien lors du dernier salon de Vinexpo Paris et nous faisions tous les plans pour 2022, les ouvertures de magasins, mon prochain voyage dans quelques mois et 8 jours après c’était la déclaration de la guerre. On sait très bien que cela va avoir des répercussions énormes sur l’économie, à la fois sur les matières sèches, les énergies. On sait que les coûts vont augmenter de façon importante, que les marges vont diminuer, que le CA va nécessairement diminuer. Mon objectif c’est à chaque fois de créer des vrais liens avec mes importateurs, de les aider à former leurs équipes de vente, sur le terrain. Depuis le Covid je fais des formations en ligne mais ce n’est pas la même chose… ».
…et une multiplication des aléas climatiques.
Le réchauffement climatique ne s’accompagne pas systématiquement d’une hausse des températures à court terme comme on pourrait s’y attendre. En effet, on assiste plutôt dans certaines régions à des hausses et baisses de températures de plus en plus erratiques. En témoignent les épisodes de gel tardifs en 2021 et 2022. Quand on lui demande comment elle perçoit l’impact du changement climatique, Florence Castarède explique :
« Notre région n’a jamais été aussi pluvieuse et maintenant le gel et un manque de chaleur. Donc ça fait beaucoup. Ce sont de climats que l’on a pas du tout vus et qui sont complètement imprévisibles. Tout le monde se pose des questions pour avoir des plants plus résistants ».
Elle souligne la résistance du baco, qui a sauvé certains producteurs mais qui avait pourtant failli être interdit par l’UE car il s’agit d’un cépage hybride. A terme, il est prévu de créer une collection 100% Baco comme pour la folle blanche.
Une marque mondiale
Avec 80% du chiffre d’affaires réalisé à l’international et une présence dans plus de 50 pays, Florence Castarède est un véritable globe-trotter. Même si le désir de se déployer de façon plus marquée en France reste présent, Florence Castarède mise davantage davantage sur l’export pour tirer la croissance vers le haut.
« L’année 2019 a été mon année record au niveau des voyages car j’ai voyagé en Asie, en Afrique, en Europe, un peu partout dans le monde. J’ai découvert les 3 pays africains où il y a le plus de potentiel, à savoir la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Le continent africain peut-être une source de développement. Mais là encore, il faut une éducation, des formations, des dégustations. Les africains, un peu comme tout le monde, connaissent les grandes marques ».
Elle mentionne également certains pays asiatiques, notamment le Vietnam qui pourrait constituer un nouveau marché prometteur.
« Pour la France, je suis distribuée par DIVA. Je participe à leurs salons. Le marché français est un marché plus compliqué et j’ai mis du temps à m’y installer. L’armagnac est un produit de niche donc il faut vraiment s’y atteler et en parler et savoir en parler, le présenter, convaincre les cavistes. Il y a une quinzaine d’années, les cavistes connaissaient peu le whisky et aujourd’hui c’est l’inverse. Le marché français représente pour nous 20% des ventes. Je suis moins présente sur le marché français car j’ai des concurrents qui y étaient déjà installés et quand un caviste a déjà 2 marques d’armagnac, en avoir une troisième, c’est compliqué surtout que ce n’est pas un produit très demandé ».
Le style Castarède
A côté d’un cœur de gamme composé de 4 assemblages (VS, VSOP, XO, Hors d’Âge) cohabitent de nombreux millésimes remontant jusqu’à 1893 ainsi qu’une gamme de 100% folle blanche embouteillée brut de fût. La sagesse et la fougue en bouteille.
« Moi ce que je recherche ce sont des armagnacs qui sont souples, qui sont ronds, qui sont aromatiques, parfumés et équilibrés. Je ne veux pas quelque chose qui saute et au nez et en bouche. C’est mon style. J’ai bien aimé le mot qu’un journaliste avait employé pour décrire nos armagnacs : ‘well-balanced’. Ça correspond vraiment à ce que je souhaite. Pour moi un armagnac c’est un parfum. Le côté très boisé et lourd n’est pas mon style. A l’heure actuelle, je pense que les gens cherchent le fruit et la souplesse ».
Et pour accompagner mon armagnac Castarède ?
Grande défenseuse de la cuisine à l’armagnac, Florence Castarède aime aussi les accords et les cocktails simples mais efficaces.
« Dans les associations, j’aime beaucoup tout ce qui est sucré avec l’armagnac, essentiellement les desserts. Tous les fruits vont très bien à part les fruits rouges. Le chocolat aussi mais pas un chocolat amer, un chocolat bien rond. J’aime beaucoup l’armagnac avec le foie gras également. Au niveau des cocktails j’aime bien un simple armagnac tonic avec des amis. J’aime un peu tous les cocktails. Mais plutôt les cocktails sucrés et fruités. Je trouve que l’amertume ne va pas avec l’armagnac ».
Quand on lui demande quelles musiques elle associerait avec ses eaux-de-vie, elle répond : « Des musiques très joyeuses, classiques ou modernes mais des musiques gaies et entraînantes » comme une façon de conjurer le marasme ambient et d’ancrer un peu plus l’optimisme qui l’habite face aux défis qui s’enchaînent.
Fiches techniques & notes de dégustation
Le point sur la gamme
La production du domaine est majoritairement incorporée à la partie négoce embouteillée sous la marque Armagnac Castarède mais une fraction de cette production est également embouteillée sous la marque Château de Maniban. Les marques Armagnac Nismes Delclou et Armagnac Marquise de Livry que vous pourriez voir mentionnés sur le site sont principalement dédiées à l’export tandis que la marques Gaspard de M. est une gamme d’armagnac dédiée à la mixologie.
Informations générales
- Armagnac Castarède a été reconnue ‘Entreprise du Patrimoine Vivant’ en 2016.
- Terroir : le Château de Maniban ainsi que 90% des domaines fournissant la partie négoce sont situés dans le Bas Armagnac.
- Conduite du vignoble : 16 hectares classés HVE niveau 3.
- Cépages : ugni blanc, colombard, folle blanche (1 hectare) et une part croissante de baco.
- Type de chais : chais humides du XVIème pour le domaine et chai un peu plus sec pour la partie négoce.
- TAV en sortie d’alambic : autour de 55° pour l’alambic de la maison Castarède.
- Les armagnacs sont embouteillés purs sauf le VS qui est parfois très légèrement sucré.
Les armagnacs Castarède peuvent être achetés sur leur site internet ou en direct à la boutique au 140 boulevard Haussmann, 75008 Paris. Les eaux-de-vie de la maison sont distribuées en France par DIVA.
Notes de dégustation
Les échantillons ont été gracieusement offerts par la maison. Chaque armagnac a été dégusté sur 1h environ avec le même verre tulipe. La cuvée des 190 ans a été dégustée en septembre 2023.
Cuvée des 190 ans
- Âge : 3 ans.
- TAV : 42°.
- Cépage : baco (première récolte 2020).
- Prix conseillé : 41€.
- Contenance : 70cl (Green Gen Bottle en fibres de lin bio-sourcé).
Couleur : Or.
Nez : assez floral et herbacé à l’ouverture avec des notes de pissenlit et de foin accompagnées de notes beurrées. Des notes d’agrumes (bergamote, combawa, fleur d’oranger) et de noisette s’expriment au second plan. On décèle à l’arrière-plan quelques notes de caramel ainsi que des notes plus fraîches (eucalyptus) qui se développent avec l’aération.
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est vif, légèrement alcooleux avec des notes boisées, de poivre noir et de cacao amer. Une pointe de réglisse s’exprime en rétro-olfaction. La finale est plutôt longue, soutenue par des amers bien présents et des notes de chocolat noir.
VSOP
- Âge indicatif : 6/8 ans environ.
- TAV : 40°
- Cépages : ugni blanc, colombard.
- Prix conseillé : 63€.
- Contenance : 70cl.
Couleur : jaune ambré
Nez : fleurs jaunes (pissenlit, camomille), foin, quelques notes de cire d’abeille. Au deuxième plan on note une pointe de muscade, de poudre de curry jaune, une touche de chocolat au lait. Au troisième plan, un fruit discret (pêche, mirabelles, oranges). Avec l’ouverture, des notes de fruits secs apparaissent (amandes, noisettes) ainsi que de cake aux fruits confits.
Bouche : l’attaque est marquée et l’on trouve des notes de chocolat au lait et d’épices (carvi, girofle, pointe de cardamome) en milieu de bouche. La finale est boisée, légèrement florale et de longueur intermédiaire.
Verre vide : notes de carvi, cacao, piment de Jamaïque, fleurs coupées.
XO
- Âge indicatif : 20 ans et plus.
- TAV : 40°
- Cépages : ugni blanc, colombard.
- Prix conseillé : 105€
- Contenance : 70cl
Couleur : ambre profond
Nez : On sent une certaine densité aromatique. Le nez s’ouvre sur les fruits mûrs (prune rouge compotée, raisin mûr, pointe de figue). Avec l’aération, de légères notes de pruneaux, de raisins secs, de noisettes grillées, de pêche rôtie au miel et de cerises au sirop apparaissent. Au second plan, on discerne de discrètes notes de chocolat, de carvi, de verveine et de rancio. Avec l’aération, le cacao et les fruits secs se développent.
Bouche : l’attaque est modérée. Le volume est plutôt droit avec un milieu de bouche marqué par les fruits secs grillés (noisettes, noix de pécan). La finale est chaleureuse et plutôt longue avec des notes de poivre du Sichuan.
Verre vide : prune confite, épices douces et fruits secs.
Millésime 1982
- TAV : 40°
- Cépages : baco, ugni blanc.
- Prix conseillé : 145€ (50cl) et 200€ (70cl).
Couleur : ambre
Nez : Le nez est d’une grande intensité. On trouve des notes presque animales, un peu de vernis, des notes de tabac ainsi que des notes plus fraîches de chèvrefeuille et d’encens. L’aération laisse plus de place au fruit (pâte de coing, agrumes confits) sur fond d’épices (poivre noir, muscade).
Bouche : l’attaque est modérée et le milieu de bouche est relativement vif et sec sur le fruit (dattes, mandarines, prune rouge). La finale est sèche, presque acidulée et plutôt longue.
Le verre vide est étonnamment assez frais, floral, évoquant un jardin après une pluie d’été ainsi que quelques notes plus pâtissières de cigarettes russes.
Collection Cigare
- Âge indicatif : 25 ans minimum.
- Terroir : Ténarèze
- Cépage : ugni blanc
- TAV : 44°
- Prix conseillé : 125€
- Contenance : 50cl.
- Association : Cigare de la Vuelta Abajo
Couleur : ambre cuivré
Nez : puissant et boisé à l’ouverture avec des notes de bois ciré, de vernis. Au deuxième plan, on trouve des notes de confiseries (caramel, chouchous). Au troisième plan, on discerne quelques notes de fleurs exotiques, d’épices douces (vanille, muscade, gingembre, cannelle) et de fruits cuits (ananas rôti, pomme au four). Avec l’aération, les épices prennent le pas avec des notes de carvi et de réglisse et le rancio s’affirme.
En bouche : l’attaque est plutôt douce, sur l’épice (girofle, muscade). Le milieu de bouche est plutôt sec et marqué par un fin rancio qui persiste jusqu’en finale. La finale, d’une très belle longueur, est marquée par quelques notes de café et de tabac.
Brut de fût – 8 ans
- Cépage : folle blanche.
- TAV : 52°
- Prix conseillé : 125€
- Contenance : 70cl
Couleur : ambre profond
Nez : étonnamment plutôt discret et subtil compte tenu du degré. On trouve des notes florales (tilleul, touche de violette) de miel d’acacia ainsi qu’une pointe de caramel. Au second plan on trouve quelques notes d’épices (carvi).
Bouche : l’attaque est franche et florale. Le milieu de bouche est marqué par des notes de tabac blond et de violette. La longueur est moyenne. L’alcool est bien intégré.
Verre vide : notes de raisins secs et de tilleul.
Observations
Ma préférence va au 25 ans d’âge dont la complexité et la longueur impressionnent. Le caractère racé du millésime 1982 m’a également beaucoup plu. Le VSOP est une eau-de-vie plutôt lumineuse tandis que le XO présente un style classique et intemporel. La folle blanche, moins complexe peut-être que les autres eaux-de-vie dégustées, affiche toutefois un point d’équilibre intéressant entre subtilité et puissance maîtrisée et donne envie de goûter les expressions plus âgées. Les prix ne sont pas donnés mais l’équilibre, cher à Florence Castarède, se retrouve globalement dans tous les armagnacs dégustés (excepté peut-être le 1982). La cuvée des 190 ans (première récolte de baco) offre un nez expressif, équilibré et plutôt délicat qui manque cependant peut-être d’un peu de tendresse en bouche. Nul doute qu’un élevage un peu plus long saura l’attendrir.
Ce qu’il faut retenir
Présente dans plus de 50 pays, la maison Castarède est la plus ancienne maison de négoce d’armagnac en activité. L’acquisition en 1979 du Château de Maniban, une bâtisse du XVIème siècle, lui permet aujourd’hui de produire une partie des eaux-de-vie qu’elle commercialise. La marque Armagnac Castarède se compose d’un cœur de gamme (VS, VSOP, XO, Hors d’Âge), de millésimes remontant jusqu’à 1893 ainsi que d’une gamme audacieuse 100% Folle Blanche embouteillée brut de fût. Le style Castarède se définit d’abord par la recherche d’équilibre sur des eaux-de-vie souples et peu boisées.
