Pour cet article, Monsieur Baco rompt avec sa distance habituelle pour partager non pas un mais deux coups de cœur ! En effet, quand nous avions découvert les eaux-de-vie de fruit de La Muse du Verger et de Distillerie SpiRal au Salon de la Gnôle Naturelle à Lamure-sur-Azergues en juin dernier, nous avions été impressionnés par leurs flacons respectifs. Les deux producteurs sont signataires du Manifeste de la Gnôle Naturelle.
La Muse du Verger : de la terre au verre.
Présentation
Après 10 ans passés à travailler dans l’industrie en tant que chimiste, Olivier Luspin décide de se reconvertir dans l’arboriculture et la distillation pour retrouver un rapport au temps plus naturel. Il effectue une formation auprès de Matthieu Frécon à l’Atelier du Bouilleur avant de créer La Muse du Verger en 2015 à Saint-Beauzély dans l’Aveyron. Sa première production est un apéritif, l’Épine de Lévézou, à base de prunelier, de vin rouge, d’alcool et de sucre. L’achat d’un alambic puis d’un verger de 6000m2 en 2017 lui permettent de diversifier et d’autonomiser une partie de sa production. Il est rejoint en 2020 sur le projet par sa compagne Anicée.
Approvisionnement
Le verger
L’acquisition du verger en 2017 permet à Olivier de cultiver ses propres framboises, prunes, mirabelles, coings et pommes.
Pour compléter sa gamme et augmenter sa capacité de production, Olivier s’approvisionne en prunes, mirabelles, poires et abricots chez des confrères et amis situés non loin. Les oranges et mandarines proviennent quant-à-elles d’Andalousie.
Conduite du verger
Olivier exploite son verger de façon propre mais refuse la labélisation « Bio ». Aucun produit phytosanitaire n’est utilisé. Seuls 2-3 traitements au cuivre et au bacille de Thuringe (contre les chenilles) sont appliqués. Aucune tonte n’est effectuée sous les arbres de façon à laisser la biodiversité venir à bout des pucerons. Les arbres ne sont pas greffés et tous les fruits sont ramassés à la main et choisis visuellement. Une conduite sans pesticides demande une grande réactivité car il faut intervenir sans attendre dès l’apparition d’un nuisible.
Un alambic à dompter
Olivier achète son alambic en 2016 dans le Jura à des propriétaires qui le jugeaient trop lent. Cet alambic à repasse rudimentaire n’est en effet pas adapté à tout type de distillation. Caractéristiques techniques :
- Conçu et en Alsace dans les années 90.
- Chauffe : particulièrement lente (une passe s’effectue sur 1 ou 2 jours), elle s’effectue au bain marie, ce qui ne cuit pas les fruits et permet d’éviter aux fruits les plus chargés en pectine une caramélisation qui donnerait des arômes non désirés.
- Nombre de passes : les eaux-de-vie sont distillées 2 voire 3 fois. Les coupes s’effectuent à partir de la deuxième passe. La lenteur de la chauffe offre une fenêtre de temps plus large et donc des coupes plus précises.
- Le condenseur est à serpentin.
Olivier a réussi à dompter cet alambic au point de pouvoir suivre à l’oreille le déroulement de la distillation (le bruit de l’écoulement change en fonction de la viscosité du distillat). La lente distillation permet à Olivier d’obtenir des taux de méthanol bien plus faibles que les seuils autorisés, ce qui confère aux eaux-de-vie une certaine douceur et relègue l’alcool au second rang sans perdre en intensité.
Des élevages adaptés
Une fois distillées, les eaux-de-vie sont élevées au moins 1 an en dame-jeanne dans le grenier. Olivier explique que l’élevage permet la recomposition d’esters qui arrivent en « pièces détachées » en sortie d’alambic. Les variations de températures lentes et répétées leur permettent ainsi de se recomposer. Des tests d’élevages plus longs (plus de 5 ans) sont en cours pour les prunes et les mirabelles. Les eaux-de-vie de framboises et de poires se prêtent quant-à-elle moins aux élevages long.
La gamme
La gamme comprend un peu plus d’une douzaine de produits qui peuvent-être achetés sur le site de La Muse du Verger :
- L’Épine du Lévézou, 17° (13,5€/50cl et 15,5€/70cl) : apéritif à base de vin, de sucre, d’alcool et de prunelier.
- L’Amusette, 14° (16,5€/70cl) : ratafia à base de jus et d’eau-de-vie de pomme de la variété passerose de Saint-Beauzély. La pomme est le premier fruit distillé par Olivier. La variété « passerose de Saint-Beauzély » endémique du coin est en effet présente en quantité sur le verger. Et cela tombe bien car proche d’une pomme à cidre, elle se prête particulièrement bien à la conservation et à la transformation. Dans la gamme de La Muse du Verger, la pomme est tout entière dévolue à la production de cet apéritif.
- Eau-de-vie d’Orange, 45° (17€/20cl et 29,50€/50cl) : les fruits proviennent d’Andalousie et sont distillées avec un peu d’écorce. Une eau-de-vie de mandarines de la variété Tardivo devrait sortir prochainement.
- Eau-de-vie de coing, 43° (17€/20cl et 29,50€/50cl) : il s’agit de coings sauvages qui ont plus de goût que les coings greffés. Les fruits proviennent du verger de la maison et de vergers voisins. Les coings sont parés et leur duvet est essuyé avant la distillation.
- Eau-de-vie de framboise, 43° (18,5€/20cl et 31,50€/50cl) : il s’agit ici d’une variété non remontante et non identifiée, proche de la framboise sauvage. Une macération des fruits dans de l’alcool blanc est effectuée car les fruits sont trop fragiles et manquent de sucre pour fermenter naturellement.
- Eau-de-vie de Mirabelle, 45° (16,50€/20cl, 28,50€/50cl) : les fruits sont cultivés sur le verger mais Olivier complète son approvisionnement chez une connaissance dans le Tarn qui lui laisse ramasser une partie de ses mirabelles bio. La variété est la mirabelle de Nancy. Les fruits sont en partie dénoyautés mais Olivier conduit des tests et souhaite distiller des mirabelles entièrement dénoyautées à l’avenir.
- Eau-de-vie de poire Williams rouge, 43° (17,50€/20cl et 30,50€/50cl) : les fruits bio proviennent d’un ami producteur vers Arles car les poiriers n’ont pas pris sur le verger. La variété rouge s’est avérée être une belle surprise car son caractère musqué offre de belles qualités à la distillation et donne à l’eau-de-vie une texture moins « granuleuse ».
- Eau-de-vie de prune, 45° (16,50€/20cl et 28,50€/50cl) : vieilles variétés proches de la prune de Saint-Antonin et de la prune d’Ente. Peu utilisées pour la bouche car acides mais parfaites pour la distillation. Les prunes sont distillées avec noyaux entiers, de façon à conférer à l’eau-de-vie des arômes d’amande.
- Eau-de-vie d’abricot (disponible prochainement) : les fruits proviennent du même producteur que les poires. Ces derniers sont très intéressants pour la distillation car ils possèdent une persistance naturelle. Les fruits sont dénoyautés avant distillation.
- Quelques mini babas et cannelés à l’eau de vie.
Les contraintes du changement climatique
Un assèchement marqué
Le climat tend à l’assèchement et à un rayonnement solaire plus fort. Olivier en a vu les conséquences bien qu’il n’ait acquis son verger il y a seulement 5 ans. En effet, les framboisiers dont les cannes montaient à 2m ne poussent aujourd’hui plus qu’à une cinquantaine de centimètres. Les feuilles brûlent et le rayonnement solaire pourraient expliquer ce manque de développement.
Des nuisibles d’un nouveau genre
Les nuisibles ont également prospéré. C’est le cas du rat taupier, qui a proliféré du Gers à l’Isère, ou encore de l’hyponomeute, une chenille cousine de la pyrale du buis, qui mange les feuilles des pommiers.
Le développement de ces nuisibles est une nouveauté à laquelle les anciens n’avaient pas eu à faire face.
Distillerie SpiRal : énergies en équilibre.
Présentation
Tout comme La Muse du Verger, Distillerie SpiRal est un duo composé de Matthieu Schutzger et sa compagne Claire. Matthieu est le neveu de Philippe Traber qui avait repris la Distillerie Metté (dont nous avions dressé le portrait ici) jusqu’à son décès en 2020. C’est auprès de lui que Matthieu apprend l’art de la distillation. Et quel meilleur endroit que Metté pour commencer ! Après des études de génie mécanique, c’est finalement son amour pour la distillation qui l’emporte. Il rencontre Claire chez Metté, puis tous deux quittent la distillerie pour se rapprocher du travail de la terre. Après une collaboration avec Christian Binner (que nous avions également présenté) qui leur permit de s’approprier les codes de la nature et comprendre ses cycles, ses énergies, le couple lance la Distillerie SpiRal en 2020.
L’alambic
L’Alambic de la Distillerie SpiRal est un alambic alsacien martelé à la main qui a plus de 80 ans. Il n’a jamais été modifié. Il possède une cloche sur le chapiteau.
Caractéristiques techniques :
- Chauffe au gaz ou au feu (en fonction du profil désiré) sur bain-marie.
- Les passes sont plutôt courtes (quelques heures).
- Capacité : 120 litres.
- TAV en sortie d’alabmic : Entre 75° et 80° après la troisième distillation.
L’élevage
Les eaux-de-vie sont élevées 6 mois minimum et en moyenne 10 mois dans des cuves inox non hermétiques. Les élevages seront de plus en plus long donc chaque mise en bouteille donnera des eaux-de-vie différentes. Matthieu estime que « c’est le produit qui décide quand il est prêt ».
La gamme
Faire circuler énergies, partager les ressources, développer une économie circulaire, telles sont les valeurs de la Distillerie SpiRal. Ainsi, les fruits sont récoltés chez des producteurs partenaires après une sélection stricte des meilleurs fruits. La gamme comprend à l’heure actuelle 4 références. La majorité des cuvées est issue d’un terroir unique (sauf pour le Citron & Thym). Une liqueur de 30 plantes ainsi qu’une eau-de-vie de Coing & feuilles de yuzu ou de bergamote devraient sortir prochainement.
- Abricot & Romarin, 43° (env. 85€/50cl) : les abricots sont récoltés chez un producteur dans le Roussillon. La fermentation est effectuée avec de gros volumes de façon à ce que le poids des fruits engendre une extraction naturelle de la matière et des arômes. Les fruits ne sont pas dénoyautés mais la fermentation non-achevée évite le développement de cyanure. Le romarin est cueilli dans la garrigue.
- Citron & Thym, 43° (env. 60€/50cl) : les citrons proviennent de Corse et le thym provient en partie d’Alsace et de la garrigue (il existe une différence de goût entre les deux).
- Fraise & Poivre du Sichuan : les fraises non traitées et le poivre sont récoltés chez un producteur en Alsace.
- Ori’Gin Printanier, 43° (env. 55€/50cl) : un gin à base de genièvre, achilée, sarriette, armoise, coriandre, verveine, géranium rosat et mélisse. Les plantes sont ramassées dans un rayon de 20km en Alsace.
Distillerie SpiRal ne dispose pour l’instant pas de site internet et leurs eaux-de-vie restent difficiles à trouver. Le mieux reste de les contacter sur leur compte Facebook ou Instagram.
L’assemblage : l’art et la manière
Si la distillation est le savoir-faire principal de Matthieu, l’assemblage est le domaine réservé de Claire. Sa formation d’analyste sensorielle lui permet de trouver des équilibres d’une finesse remarquable. L’assemblage des eaux-de-vie commence en réalité lors de la troisième distillation : en effet, la matière première (fruit) est distillée 2 fois avant que le romarin, le thym ou le poivre du Sichuan ne soient chargés dans la cloche lors de la troisième distillation. C’est à ce moment-là que les deux arômes se lieront.
De la même façon qu’un point de sauce vient lier un plat, Claire travaille également ses ‘points de sauce’ pour lier ses eaux-de-vie :
- Abricot & Romarin : l’équilibre repose sur l’écorce du bois de romarin.
- Citron & Thym : l’équilibre repose sur le ziste.
- Fraise & Poivre du Sichuan : l’équilibre repose sur les feuilles de poivrier.
- Ori’Gin : l’équilibre repose sur la sarriette et la coriandre.
La liqueur de plantes à naître suit elle aussi un procédé de fabrication particulier : 17 plantes issue de la garrigue sont mises à sécher dans le noir afin de préserver la chlorophylle et éviter l’oxydation. La distillation va réhydrater les plantes et ainsi réactiver les principes actifs. Chaque lendemain de distillation, Matthieu et Claire vont cueillir en sève montante 13 plantes d’Alsace qui seront infusées durant environ 5-6 jours dans le distillat des 17 plantes distillées précédemment. Le sucre est réalisé lui aussi de façon artisanale. Matthieu récupère chez un oncle des rayons de ruche comprenant des résidus de miel. En les faisant tremper, il obtient ainsi un sucre naturel qui portera le taux de sucre de la liqueur à environ 100-110 grammes de sucres par litre.
Projets à venir
Matthieu et Claire ne comptent pas s’arrêter à la production d’eaux-de-vie comme en témoigne la création d’un domaine viticole nommé La Quinte à Agel dans le Minervois à la frontière entre l’Aude et l’Hérault. Le couple cultivera du grenache (blanc et noir), du carignan (blanc et noir), de la syrah, du cinsault, du mourvèdre, du macabeu ainsi que de vieux cépages espagnols sans travail du sol. Une méthode ancestrale d’élevage sous un voile constitué de végétaux (pin d’Alep, olivier, figuier) devrait être utilisée. Cela permettra également la production d’eaux-de-vie de raisin (assemblées elles aussi avec les végétaux constituant le voile). Vous l’aurez compris, la Distillerie SpiRal nous réserve encore de très belles surprises.
Deux approches, deux styles, deux gammes de prix
Soyons clair, le but n’est pas ici de déterminer qui produit les meilleures eaux-de-vie. À chaque style ses qualités et ses tarifs. Du fait de leur nature (les eaux-de-vie de fruit sont concentrées autour d’un ou deux arômes), il serait peu pertinent d’en proposer des notes de dégustation, ce qui n’empêche pas d’en parler. Les eaux-de-vie de La Muse du Verger (plus simples que celles de SpiRal car distillées à partir d’une seule matière première) recèlent une sorte d’évidence, d’immédiateté qui donnent l’impression d’atteindre l’essence du fruit. Un rapport qualité prix imbattable ! Les eaux-de-vie de la Distillerie SpiRal, plus sophistiquées (les tarifs également), témoignent quant-à-elles d’un équilibre et d’une finesse remarquable entre les deux composantes qui sont à la fois parfaitement discernables tout en ne semblant faire qu’un. Des eaux-de-vie presque quantiques…
À elles deux, ces distilleries artisanales illustrent le renouveau d’une catégorie de spiritueux jusqu’alors reléguée au rôle de digestif à la fin du repas. Par leur buvabilité, leur finesse et leur intensité, les eaux-de-vie de La Muse du Verger et Distillerie SpiRal enfoncent les stéréotypes de la ‘goutte’ de l’arrière-grand-oncle brûlant la gorge et font entrer l’eau-de-vie de fruit dans une nouvelle dimension.
Ce qu’il faut retenir
Fondées respectivement en 2015 et en 2020, La Muse du Verger et la Distillerie SpiRal sont deux distilleries artisanales produisant des eaux-de-vie de fruit avec un engagement environnemental fort. Niveau approvisionnement, La Muse du Verger dispose de son propre verger et complète sa production chez des partenaires tandis que Matthieu et Claire de la Distillerie SpiRal vont cueillir leurs fruits et plantes chez des producteurs et particuliers. Outre la gamme, les différences entre les deux maisons portent principalement sur le procédé de fabrication : Olivier de La Muse du Verger produit des eaux-de-vie provenant d’un seul fruit tandis que Claire de la Distillerie SpiRal assemble un fruit et une plante. Les eaux-de-vie de La Muse du Verger sont simples, pures, immédiates et offrent un rapport qualité/prix exceptionnel tandis que les eaux-de-vie de la Distillerie SpiRal, plus sophistiquées et onéreuses font preuve d’un équilibre et d’une finesse remarquable.
