Après avoir dressé le portrait d’Armagnac Castarède, l’une des maisons les plus emblématiques du Bas-Armagnac, Monsieur Baco vous présente un domaine et un terroir aux antipodes… Découvrez Château Arton et le terroir méconnu du Haut-Armagnac…
Historique
De retour en terres gasconnes, après avoir travaillé à Paris plusieurs années, Patrick de Montal et Victoire de Montesquiou d’Artagnan renouent avec leurs racines en s’installant au domaine d’Arton en 1978. Patrick de Montal crée d’abord une maison de négoce avec son cousin : Armagnac de Montal. Patrick se consacre à la distillation et prend vite conscience que l’eau-de-vie sortant de l’alambic conserve les caractéristiques de chaque millésime. Il décide donc de commercialiser la première eau-de-vie non-vieillie de la région sous la marque de Fine Blanche® (qui donnera son nom à l’AOC Blanche d’Armagnac en 2005).
À la conquête de l’indépendance
Suite à des divergences sur la façon d’envisager l’âge des armagnacs que la maison de négoce commercialise, les deux cousins et associés se séparent et Patrick de Montal décide de replanter des vignes en 1991 (la dernière vendange à Arton avait eu lieu en 1914) afin de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production de l’armagnac. Il mettra 10 ans à récupérer des parcelles qui étaient en fermage et à maîtriser la vinification, étape essentielle à la production d’eaux-de-vie de qualité. La première distillation eut lieu en 2001, le premier armagnac sous le nom Château Arton fut commercialisé en 2011. En 2017, le domaine reçoit le Prix d’Excellence du Concours Général Agricole récompensant la meilleure eau-de-vie de France. C’est la première fois que cette distinction est attribuée à un armagnac.
La nouvelle génération
Aujourd’hui, l’entreprise familiale est dirigée par Jean de Montal, son épouse Lili ainsi que par Fabrice Saramon, l’œnologue du domaine depuis 20 ans. Deux conditions furent nécessaires à la reprise : premièrement, il fallait que le couple vienne vivre au domaine afin d’être au plus près de la terre ; deuxièmement, il fallait que le cœur de métier reste le vin car pour les Montal, tout part de la vigne et du vin. Comme l’explique Lili, « l’intégrité du vin va servir l’excellence de l’armagnac ». De plus, le statut de producteur constitue un avantage sur celui du négociant car le producteur a les moyens d’adapter son processus d’élaboration : vendanges, de vinification… Cela engendre une grande traçabilité qui permet au producteur de comprendre et d’identifier un quelconque dysfonctionnement et de le corriger.
Le Haut-Armagnac, un terroir exigeant
Situé à Lectoure, dans l’aire d’appellation géographie Haut-Armagnac AOC, Château Arton est l’un des rares producteurs à faire vivre cette appellation qui a failli disparaître, emportée par le phylloxera. En effet, bien qu’étant le cru le plus vaste en surface, le vignoble du Haut-Armagnac, représente moins de 2% de la production totale de l’armagnac.
Ce vaste terroir, plus haut en altitude (entre 150 et 200m) que le Bas-Armagnac, est composé d’une grande variété de sols. A l’Est, les roches calcaires affleurantes appelées « peyrusquets » dominent tandis que la partie sud-ouest soulignant le Bas-Armagnac dispose de sols similaires aux sables fauves des landes.
Sur le terroir calcaire du Haut-Armagnac, la vigne met 1 an de plus à trouver de l’eau que sur les autres crus.
Le vignoble de Château Arton
Château Arton possède 15 hectares de vignes destinées à la production d’armagnac : ugni blanc (majoritaire) et colombard. En 2023, 5 hectares de baco seront plantés.
Conduite du vignoble
Comme expliqué au début, la qualité du vin est primordiale pour la famille de Montal. Le vignoble de Château Arton est donc cultivé en permaculture depuis 10 ans. Cela induit par exemple que les vignes sont plantées en fonction des courbes de niveau permettant ainsi une meilleure répartition de l’eau et des nutriments. Des noues (sortes de fossés) ont été creusées afin de capter l’eau de pluie, et faciliter l’infiltration dans les sols. En outre, 890 arbustes de 15 essences sont plantés sur les buttes à côté des noues.
Tous les vins seront certifiés bio en 2023 et biodynamie en 2024-2025
Une innovation au service de la vigne
Toujours dans cette quête d’obtenir la meilleure matière première possible, le domaine soigne sa vigne. Cela passe notamment par une collaboration avec des start-up, notamment Kapsera et Genodics.
Ainsi, depuis 6 ans le domaine diffuse des mélodies basées sur les fréquences naturelles de la vigne. La vigne est vivante et donc elle dispose d’un système immunitaire et génère des protéines pour se protéger des maladies. Le laboratoire Génodics possède un département spécialisé sur la vigne. Ils ont analysé des vignes souffrant de maladies identifiées et ont capté les fréquences émises par la vigne lorsqu’elle est malade. Le laboratoire transpose ces fréquences en sons et les diffuse dans la vigne en prévention pour faire développer à la vigne des protéines en lui indiquant que la maladie est là. Château Arton diffuse donc ces sons 10 min le matin et 10min le soir de mai à octobre. La musique est diffusée pour le sauvignon blanc et ugni blanc en prévention de 2 maladies (l’esca et le black dead arm). A chaque maladie une fréquence différente.
De manière pragmatique, des améliorations ont été constatées en termes de rendement, de santé (vignes plus vertes). S’il est compliqué de prouver scientifiquement la relation de cause à effet de ce processus, Lili de Montal raconte tout de même qu’en 2020, Arton a été fortement frappé par la grêle. En 15min tout le colombard a été détruit. Cette année-là, Patrick de Montal constate qu’une maladie qui n’était plus apparue depuis des années a fait son retour. Il constate que le haut-parleur a été détruit par la grêle et ne diffuse plus les sons…
Processus de fabrication
Distillation
En raison des faibles volumes distillés, Château Arton a fait le choix de la distillation ambulante plutôt que de la distillation maison. Depuis 2001, le domaine collabore avec le distillateur ambulant Philippe Gironi et son alambic traditionnel de 13 plateaux chauffé au gaz.
Élevage
En ce qui concerne l’élevage et la sélection des eaux-de-vie, le domaine procède en entonnoir. Les cépages sont élevés séparément. Les eaux-de vie sont mises à vieillir en fûts neufs pendant 1 an et demi dans un chai sec avant d’être transférées en fûts anciens dans un chai humide. Au bout de 6 ans, une première sélection est effectuée pour déterminer quelles sont les meilleures eaux-de-vie qui continueront leur vieillissement en pièces uniques. Les autres seront assemblées et embouteillées dans La Réserve. Au bout de 10 ans, une deuxième sélection est effectuée, les meilleures eaux-de-vie continueront leur élevage en pièces uniques tandis que les autres seront assemblées et embouteillées sous l’assemblage de l’année : La Flamme. Aujourd’hui, seules 2 pièces uniques sont commercialisées chaque année. Dès 2012, le domaine a commencé à ne pas réduire les pièces uniques.
Des parcellaires devraient être commercialisés en 2023.
La philosophie Château Arton
Pour intervenir le moins possible, il faut avoir des fondamentaux de premier ordre. C’est pour cela que le gros du travail se concentre sur la vigne. Pour Château Arton, ce qui fait un bon armagnac, ce n’est pas son âge mais la qualité du vin, son alchimie avec le fût et la capacité du producteur à extraire et mettre en valeur son substrat, le relief de chaque millésime. Un même millésime peut atterrir dans 3 qualités différentes d’armagnac : l’assemblage, l’assemblage de l’année (millésime) ou la Pièce Unique (l’exceptionnel). Le vieillissement n’est donc pas un gage de qualité pour la famille Montal-Montesquiou. Ainsi, l’expertise de Château Arton pourrait se résumer à la quê e de la Pièce Unique: 1 cépage, 1 barrique, 1 année, qu’il ne faut surtout pas assembler.
La logique de prix est donc en accord avec la vision de l’armagnac de Château Arton et avec le processus d’élimination : les prix ne changent pas selon l’âge ou les années mais en fonction du degré d’excellence.
Évolution du marché
Millésime VS Assemblages
L’avenir de l’armagnac selon Château Arton est de cultiver la logique de millésimes afin de rester au plus près de la culture du vin. 80% de la demande en armagnac se porte actuellement sur les assemblages. Pour Lili de Montal, cela va donc prendre du temps avant que la filière change de perspective et renforce la logique de millésime. A court terme, elle estime que la clef de l’armagnac est la Blanche Armagnac, qui sublime déjà les arômes du vin. Pour elle, « apprécier la Blanche, c’est déjà comprendre la singularité de l’armagnac ».
La mixologie : une opportunité
La mixologie est également fondamentale pour la filière armagnac car il s’agit d’un moyen de faire connaître l’armagnac. Pour Lili, « elle rebondit sur la créativité de tous les barmen ». Elle estime également que les réseaux sociaux, souvent décriés dans la sphère politique, décuplent ici la créativité en mixologie. La blanche reste un produit nouveau pour beaucoup et reste le choix privilégié pour les cocktails.
Château Arton a collaboré avec Le Syndicat en incorporant la Fine Blanche dans 2 cocktails Ready-to-Drink de la marque féfé : Armagnac Pornstar Martini (12°, 187ml, avec de la purée de passion, infusion de vanille, fève de tonka et girofle) et la Fine à l’eau à la Blanche d’Armagnac (5°, 330ml, avec infusion de fraise et de cacao).
Cela permet d’effectuer une transition vers une dégustation plus festive, mobile, élégante, décomplexée et saine. Il s’agit pour Lili d’un nouvel instant de consommation.
Ventes
Depuis 2022 le domaine est passé sur une logique d’allocation. L’Allemagne et les USA sont très friands des bruts de fûts de Château Arton. Lili explique que la demande à l’international est assez pointue tandis que le marché Français (30% des ventes) ne témoigne pas de la même exigence. Le marché chinois est compliqué pour Arton car le domaine ne s’inscrit pas dans le narratif traditionnel de l’armagnac centré autour des millésimes anciens et de l’histoire de France. L’Asie du sud-est, le Japon et Taiwan représentent également des marchés intéressants pour la marque. Château Arton est distribué en France par l’Explorateur du goût.
Fiche technique
- Terroir : sols calcaires du Haut-Armagnac AOC.
- Vignoble : 15 hectares de vignes dédiées à la production d’armagnac et cultivées en permaculture depuis 10 ans et en conversion bio et biodynamie.
- Cépages : ugni blanc majoritaire, colombard (principalement utilisé pour la Fine Blanche®) + 5 hectares de baco (à partir de 2023).
- Distillation : alambic ambulant de 13 plateaux, chauffé au gaz de Philippe Gironi.
- Élevage : 1 an et demi en fûts neufs dans un chai sec puis passage en fûts roux dans un chai humide.
Notes de dégustation
Les 4 échantillons ont été gracieusement fournis par le domaine et ont été dégustés dans le même verre tulipe sur des durées similaires (30min-1h). Les eaux-de-vie dégustées présentées ci-dessous peuvent être achetées directement sur le site du producteur.
Château Arton, Fine Blanche® 2019
- AOC : Blanche Armagnac
- Cépage : colombard
- TAV : 45°
- Prix : 46€
Couleur : transparente.
Nez : le nez s’ouvre sur des notes d’agrumes (pamplemousse, bergamote) et de fleurs blanches (jasmin, pittosporum). Au second plan, on distingue un registre plus suave (brioche au sucre, bonbons type berlingots) complété par de discrètes notes anisées et un soupçon d’origan à l’arrière-plan.
Bouche : l’attaque est plutôt moelleuse. Le millieu de bouche est marqué par des notes anisées, suaves (sirop de sucre, berlingots toujours). La finale est chaleureuse et longue sur le poivre noir et une touche de café.
Château Arton, La Réserve
- AOC : Haut-Armagnac
- Cépages : ugni blanc, colombard
- Assemblage : assemblage de millésimes
- Âge : minimum 6 ans
- TAV : 45°
- Prix : 66€ les 50cl / 79€ les 70cl / 153€ les 150cl
Couleur : ambre.
Nez : le premier plan est marqué par des notes de vieux livre, de vanille, d’orange confite, de coing et de pain d’épices. On retrouve des notes de figues sèches, de mirabelles, de confiture de cerises, de boîte à cigares et de fruits secs au second plan. Des notes végétales de verveine complètent l’ensemble à l’arrière-plan. Une trame épicée (muscade, gingembre) soutient l’ensemble.
Bouche : l’attaque est modérée. Le millieu de bouche est plutôt sec avec des notes de caramel blond, de violette, de noisettes grillées et de confiture d’abricots. La finale est chaleureuse, relativement longue, fraîche et fruitée.
Château Arton, La Flamme 2013
- AOC : Haut-Armagnac
- Cépage : ugni blanc
- Assemblage: millésime 2013 uniquement
- TAV : 50,5° (brut de fût)
- Prix : 91€ les 50cl / 109€ les 70cl / 213€ les 150cl
Couleur : ambre.
Nez : le nez s’ouvre sur des notes de caramel mêlées d’une pointe d’humus, un registre boisé (bois vernis, menuiserie) et la noix. Le second plan est plus épicé (camphre, poivre blanc, grains de café torréfiés, cacao, girofle) et s’affirme avec l’aération. On trouve un fruit plus en retrait avec quelques notes de coing, poires rôties au beurre, cerises compotées. Une très légère pointe d’herbes aromatiques (romarin) complète l’ensemble.
Bouche : l’attaque est plutôt franche. Le milieu de bouche est musqué et fruité (genièvre, myrtilles) et légèrement camphré. L’ensemble est plutôt frais et est complété par quelques notes d’épices (gingembre, cannelle). La finale est plutôt longue et chaleureuse sur des notes boisées et épicées.
Château Arton, Pièce Unique 2011
- AOC : Haut-Armagnac
- Cépage : ugni blanc
- Assemblage : pas d’assemblage, pièce unique millésime 2011.
- TAV : 45°
- Prix : 189€ les 50cl / 229€ les 70cl
Couleur : ambre.
Nez : le nez s’ouvre sur quelques notes de vernis puis de cire d’abeille, de pollen, de camomille. Au second plan, des notes de fruits se distinguent (orange, ananas, fruits tropicaux). Des notes plus épicées (gingembre, muscade) complètent l’ensemble à l’arrière-plan. Avec l’aération, le registre boisé s’affirme et se pare d’une certaine fraîcheur (cèdre, eucalyptus, carvi).
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est plutôt sec avec des notes de carvi, de réglisse, de fruits secs, de caramel. Une légère fraîcheur mentholée traverse l’ensemble. La finale est longue et chaleureuse, avec des notes de poivre blanc et est soutenue par de légers amers.
Observations
Toutes les cuvées dégustées sont d’une réelle qualité et témoignent d’une certaine complexité et profondeur. La Fine Blanche est délicieuse, La Réserve est très complète sur le plan organoleptique. La Flamme joue la carte du caractère tandis que la Pièce Unique fait preuve de finesse, de précision et d’équilibre. Je trouve les tarifs élevés (surtout sur le haut de gamme) mais la logique tarifaire par degré de qualité est intéressante. Château Arton, par sa maîtrise de la vigne et son exigence permet de replacer le terroir du Haut-Armagnac non pas « au milieu du village » mais bien en haut du village ! Il était temps que ce terroir renaisse de ces cendres…
Ce qu’il faut retenir
Si l’on devait associer un mot à Château Arton, ce serait sûrement ‘modernité’. En effet, contrairement à la plupart des domaines qui jouent la carte de la tradition et font valoir leurs racines historiques profondes de plusieurs siècles, le (relativement) jeune domaine, pionnier dans la commercialisation de la Blanche d’Armagnac, concentre ses efforts sur un travail de la vigne exigeant (15 hectares en permaculture) et sur des techniques modernes et innovantes afin d’obtenir des vins de première qualité. Une sélection stricte lors du vieillissement complète la quête d’exigence de la marque et accouche d’une courte gamme qualitative, articulée autour de quatre cuvées (une blanche, un assemblage, un assemblage millésimé et une pièce unique).