Maison incontournable du Bas-Armagnac, Darroze n’est peut-être pas la plus ancienne des maisons de cette appellation, mais ses relations avec une multitude de producteurs partenaires lui permettent de mettre en lumière le Bas-Armagnac dans toute sa diversité tout en remontant loin dans le temps.
Histoire
L’histoire de la maison Darroze est intimement liée à celle du terroir gascon, de la haute gastronomie et du bon goût. C’est à la fin des années 60, à Villeneuve-de-Marsan, que Jean Darroze, chef deux étoiles au Guide Michelin, commença à acquérir des armagnacs pour les clients de son restaurant. La polyculture a toujours été pratiquée en Gascogne de façon à permettre aux paysans qui possédaient quelques vignes de se constituer un bas de laine en diversifiant leur production. Quand Jean Darroze se rendait avec son fils Francis, sommelier du restaurant, dans les fermes alentour afin de se fournir en produits de qualité, il dénichait régulièrement des dames-jeannes de Bas-Armagnac dont la traçabilité était garantie.
Prenant progressivement la relève, Francis Darroze se mit à son tour à arpenter le Bas-Armagnac à la recherche d’eaux-de-vie de qualité. Souhaitant développer l’affaire, il se mit à acheter non plus des dames-jeannes, mais des barriques complètes afin de les embouteiller sans réduction et sans ajout avec le nom « Darroze » inscrit en petit sur l’étiquette à côté du nom du producteur. En 1974, il créa l’entreprise Bas-Armagnacs Francis Darroze.
Le succès n’ayant pas tardé à frapper à la porte de la maison, il commença alors à distiller en 1975 ses premières eaux-de-vie au Domaine de Martin et à les exporter (d’abord au Luxembourg en 1977 puis aux USA en 1981).
C’est son fils Marc, les yeux rieurs, que nous avons rencontré et qui continue depuis plus de deux décennies à développer les activités de la maison familiale (10 collaborateurs).
Une maison de négoce avant tout
La maison Darroze ne possède pas de vignes et se concentre sur son métier de distillateur-négociant. Marc Darroze s’appuie donc sur ses 30 producteurs partenaires pour sourcer ses eaux-de-vie. Il distille dans la moitié des domaines et achète des barriques au reste d’entre eux.
Chez les Darroze, on revendique la diversité, le respect des crus et la transparence. C’est la raison pour laquelle la question de l’achat de vignes et de la production en amont de vin de distillation ne se pose pas aujourd’hui.
La quasi-totalité des producteurs partenaires de la maison Darroze se situe en Bas-Armagnac avec de rares exceptions comme le Domaine de la Poste situé en Ténarèze.
Distillation
Environ la moitié des armagnacs élevés et embouteillés par Darroze sont distillés par un distillateur ambulant ou par les producteurs eux-mêmes. Pour le reste, Marc Darroze utilise un alambic traditionnel à 7 plateaux, chauffé au gaz de 1948. Le titre alcoolique volumique en sortie d’alambic est de 53-55° environ.
S’il n’y a pas de règle quant à l’identité du distillateur vis-à-vis des différentes gammes, Marc admet se tourner de plus en plus vers l’utilisation de l’alambic de la maison.
Élevage
99% du bois utilisé est du chêne pédonculé de Gascogne et du piémont pyrénéen. Ce type de chêne à grains larges accélère la prise de tannins.
L’élevage débute d’abord par la mise en fûts neufs d’une contenance de 400 litres pendant 2 à 5 ans. Cela va permettre un enrichissement rapide des eaux-de-vie. Après le passage en fûts neufs, les armagnacs sont transférés dans des fûts ayant déjà servi de façon à limiter l’apport en bois. Au bout de 10 ou 15 ans, les armagnacs sont transférés dans des fûts inactifs. Au-delà de 60 ans, les armagnacs sont transférés en dames-jeannes où ils resteront jusqu’à leur embouteillage.
Le vieillissement est naturel avec peu ou pas de réduction et aucun édulcorant à la mise en bouteille.
La maison Darroze compte environ 1600 fûts répartis dans ses chais à Labastide d’Armagnac et à Roquefort. Comme l’explique Marc « nos chais sont équipés de systèmes d’aspersion qui permettent le contrôle de l’humidité. Plutôt humides les dix premières années de vieillissement, plus secs par la suite ». Ce système permet de jouer de façon peu interventionniste sur le profil et le degré d’alcool des armagnacs. En effet, l’humidité a tendance à retenir l’eau présente dans les eaux-de-vie ce qui permet une réduction naturelle et constante du degré d’alcool et donne des armagnacs plutôt ronds. A l’inverse un environnement sec va contribuer à une évaporation plus importante de l’eau contenue dans les eaux-de-vie ce qui va concentrer l’alcool et donner des armagnacs plus secs. Environ 50000 bouteilles sont commercialisées chaque année.
Gamme
Les Blanches Armagnac
Les trois cépages baco, ugni blanc et folle blanche sont embouteillés à 49°.
Darroze Biologique
Cette collection fait la part belle à la folle blanche cultivée de façon biologique et embouteillée au degré naturel en assemblage et également par millésime.
La Collection Unique
C’est LA collection qui a fait la réputation de Darroze : le but avec cette gamme est de mettre en avant la diversité du Bas-Armagnac. Chaque eau-de-vie est millésimée, élevée dans une barrique qui lui est propre et embouteillée à son degré naturel. Une grande importance est accordée aux informations mentionnées sur l’étiquette comme le domaine dont provient l’armagnac. Sur le site de la maison, vous pourrez retrouver une fiche détaillant chaque producteur partenaire (passé ou présent).
La collection comprend actuellement plus de 300 armagnacs différents. La mise en bouteille se fait parfois à la commande.
Les Grands Assemblages
A la manière de sa famille (son grand-père Jean, son oncle, ses cousins, sa sœur Hélène) qui continue de s’illustrer par la qualité de ses assiettes, Marc Darroze compose lui aussi ses assemblages de Bas-Armagnac avec intelligence et panache. Alors que la Collection Unique suppose un lâcher-prise quant à la trajectoire que prend l’armagnac en vieillissement, la gamme des Grands Assemblages permet de jouer la carte de la constance (il y a toujours un tiers de l’ancien lot dans l’assemblage du nouveau lot) et d’imprimer un style particulier à chacun des 7 comptes d’âges. Une légère réduction à 43° est pratiquée sauf pour les 50 ans et 60 ans qui sont embouteillés à leur degré naturel à 42°.
Le Luxe Gascon
Cette collection présente de très petits lots de très vieux millésimes embouteillés dans des carafes en cristal (40 à 120 carafes maximum par millésime).
Marché et ventes
Darroze réalise 35% de ses ventes en France en s’appuyant, patrimoine familial aidant, sur une solide présence en restauration ainsi qu’en cave. À l’export, ses marchés principaux sont les USA, la Chine, la Russie (avant la guerre), l’Allemagne et l’Angleterre.
Un savoir-faire reconnu
La maison Darroze bénéficie du label Entreprise du Patrimoine Vivant qui distingue des entreprises françaises au savoir-faire artisanal et industriel. En outre, la maison est membre du Cartel, un regroupement de producteurs de spiritueux artisanaux de haute qualité dont sont membres Longueteau (rhums agricoles de Guadeloupe), Dupont (Calvados Pays-d’Auge), Michel Couvreur (whisky), Drouet (cognac) ainsi que Metté (marcs d’Alsace et eaux-de-vie de fruit) et Jacoulot (marcs & fines de Bourgogne, liqueurs) dont nous avions déjà parlé ici.
Notes de dégustation
Les échantillons ont été gracieusement fournis par le producteur. Les mêmes verres tulipe ont été utilisés pour la totalité des cuvées. Les dégustations ont eu lieu sur environ 1h.
Darroze Biologic 4 ans d’âge, 47,5° (mis en bouteille mars 2023) – environ 38€
Couleur : or pâle.
Nez : s’ouvre sur des notes de foin et de sucre. Le second plan est marqué par des notes d’amande enrobées (dragées), d’épices (vanille, cannelle), de caramel et de tabac blond. L’arrière-plan présente des notes de poires au beurre ainsi qu’une touche de vernis et de menthol.
Bouche : l’attaque est franche sans être abrupte. Le milieu de bouche est sec et boisé et présente des notes de pâte d’amande et de réglisse, de tabac et de cacao. La finale est de longueur moyenne, salivante, fraîche et mentholée soutenue par des notes de poivre noir et une pointe de café.
Les Grands Assemblages 12 ans, 43° – environ 57€
Couleur : or, reflets ambrés.
Nez : s’ouvre sur des notes de coing et de tilleul. Le second plan est marqué par des notes d’épices (poivre long de Java, vanille du Mexique, touche de réglisse), de cuir, de prune ainsi que par une certaine fraîcheur (eucalyptus et fleurs blanches). Quelques notes fruitées (orange sanguine, grenade) complètent l’ensemble à l’arrière-plan.
Bouche : l’attaque est plutôt douce. Le milieu de bouche est sec, boisé avec des notes de vanille, de tabac blond, de chocolat au lait avec de la badiane en rétro-olfaction. La finale est de longueur moyenne sur le poivre noir.
Les Grands Assemblages 50 ans, 42° – environ 295€
Couleur : aquilin.
Nez : s’ouvre sur de légères notes d’humus, de pignons de pin, de bois ciré et de cèdre. Le second plan est marqué par un registre fruité (cerise confite, banane flambée, pêche de vigne compotée, confiture de mûres) et de praliné noisette. L’arrière-plan est marqué par des notes de bouillon dashi, de cuir, de crème au café et de rancio. Un trait de fraîcheur (rose, verveine) traverse l’ensemble.
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est équilibré : plutôt sec sans être tannique, marqué par des notes de prune rouge, d’épices (carvi de hollande, cannelle) et de rancio (noix fraîche, réglisse, pruneau). Des notes de thé pu’erh mêlées de tabac emportent l’ensemble dans une finale très longue, légèrement terreuse et ferrugineuse.
Bas Armagnac, Domaine de Cantau 2008, 50° – environ 79€
Couleur : cuivre.
Nez : s’ouvre sur un registre pâtissier (notes beurrées, viennoiseries, gâteau à la noix de coco) qui s’impose ensuite en trame de fond. Avec de l’aération, des notes de pain toasté et d’épices (quatre-épices) font leur apparition. Le second plan est marqué par des notes d’orange sanguine, de fruits confits et de chocolat fourré aux amandes. Une touche de fraîcheur (bois de santal) complète l’ensemble à l’arrière-plan.
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est concentré et juteux avec des notes fruitées (prune, coing, abricot sec), d’épices (vanille, cannelle, réglisse, muscade, badiane) complétées par une touche florale. La finale est longue sur la vanille et l’amande.
Bas-Armagnac, Château de Lahitte 1986, 46,5° (fiche du domaine) – environ 126€
Couleur : fauve.
Nez : s’ouvre sur des notes de bois vernis. Le second plan est marqué par des notes de chocolat noir, d’épices (cardamome, quatre-épices, poivre blanc) et d’orange confite. Avec l’aération, des notes de fruits secs torréfiés (noix de pécan, noisettes) et de rancio font leur apparition. Un registre légèrement animal parcourt l’ensemble complété par une pointe florale (rose).
Bouche : l’attaque est à la fois ronde et franche. Le milieu de bouche est sec, tannique, réglissé et boisé. Au second plan, on distingue des notes fruitées (coing, abricot), légèrement florales (violette) avec une pointe de noisette. La finale est plutôt longue sur des notes de fruits secs grillés.
Bas-Armagnac, Château de Gaube 1964, 43° (fiche du domaine) – environ 397€
Couleur : aquilin.
Nez : s’ouvre sur des notes mentholées, d’encaustique et de prune rouge. Le second plan est marqué par des notes d’humus, de cèdre, de fruits secs (noisettes et noix de pécan torréfiées, touche de cacahuète) de champignons poêlés, de verveine, de rancio (pruneau, figue sèche) et de café (grains de café torréfiés, crème au café). On distingue de discrètes notes de caramel beurre au beurre salé, et d’épices (badiane, cannelle) à l’arrière-plan.
Bouche : l’attaque est plutôt douce. Le milieu de bouche est en demi-corps, marqué par des notes boisées accompagnées de notes de prune. Des notes de rancio s’expriment en rétro-olfaction. La finale est longue et fraîche avec une touche de lavande et de romarin.
Commentaires
Ce qui frappe avec Darroze, c’est la fraîcheur dont font preuve les différentes cuvées peu importe leur âge. Si la qualité est au rendez-vous dans tous les cas, j’ai particulièrement aimé la gourmandise et la longueur du Domaine de Cantau 2008 ainsi que le 50 ans pour sa complexité et sa finale racée d’une grande classe. Le 4 ans biologique présente une bouche de très belle facture tandis que le Château de Lahitte 1986, assez sec et tannique, se révèle moins charmeur mais constituerait certainement un partenaire idéal pour casser la richesse de certains mets. Le Château de Gaube 1964 est pour sa part épatant de fraîcheur.
Ce qu’il faut retenir
La maison Darroze est une maison d’armagnac incontournable pour les connaisseurs depuis plusieurs années. Assise sur une gamme intelligemment construite, mettant en avant tantôt la complexité et l’équilibre des assemblages tantôt la franchise des bruts de fûts millésimés, la maison s’attache à exprimer avec honnêteté et transparence (deux adjectifs qui résonnent fortement avec la démarche de Monsieur Baco) les nuances du Bas-Armagnac et le savoir-faire de la trentaine de producteurs qui fournissent leurs eaux-de-vie. Les rapports qualité-prix sont véritablement stellaires (comptez moins de 300€ pour le 50 ans d’âge) et la générosité gasconne au rendez-vous. On ne peut pas passer à côté des Armagnacs Darroze.