Quelle est la meilleure façon relancer une maison de cognac ? Sur un marché assez statique niveau produit, Frédéric Delpeuch, 5ème génération à la tête de la Maison Delpeuch-Joyeux, a fait le choix de la radicalité en commercialisant Deljoy, une unique liqueur mêlant cognac et agrumes.
Histoire
La maison Delpeuch-Joyeux est née d’une rencontre : celle d’Auguste Delpeuch, fils de commerçant originaire d’Auvergne et de Sarah Joyeux, fille de viticulteurs charentais. Ils créent la Maison Delpeuch-Joyeux en 1890 qui produit et commercialise alors les cognacs Delpeuch-Joyeux. Daniel leur fils aîné agrandit le vignoble, la distillerie et développe la gamme des cognacs Delpeuch-Joyeux, tout en fournissant du cognac pour une célèbre liqueur de l’époque nommée « La Vieille Cure », disparue dans les années 60 après son rachat par Bolls. C’est Jean-Pierre Delpeuch, 3ème génération qui met fin aux cognacs Delpeuch-Joyeux dans les années 60 pour se concentrer sur la viticulture et la distillation pour ensuite vendre ses eaux-de-vie aux grandes maisons cognaçaises.. Parallèlement il crée pour sa consommation personnelle une liqueur à base de cognac qu’il appelle le ‘Délice des Anges’. Alain, 4ème génération, poursuit le chemin de son père, continuant à fournir les grandes maisons de négoce et notamment une célèbre liqueur charentaise à base de cognac, toujours en activité cette fois-ci !
À la tête de la Maison Delpeuch-Joyeux depuis 2022, et fort du lien historique de la maison familiale avec la catégorie des liqueurs, Frédéric, 5ème génération décide de relancer la commercialisation en marque propre avec la production d’une liqueur unique à base de cognac et d’agrumes, Deljoy.
Vignoble
La maison familiale dispose d’un vignoble d’une trentaine d’hectares d’ugni blanc situé en Grande Champagne (quatre parcelles réparties sur Segonzac, Bourg-Charente et Mainxe-Gondeville). Le vignoble est cultivé en agriculture raisonnée en collaboration avec la chambre d’agriculture locale. Louis Delpeuch, frère de Frédéric et leur père Alain s’occupent tous deux de la vigne.
Distillation
Le cognac de la propriété familiale est distillé grâce à un alambic à repasse datant de 1971 disposant d’un réchauffe-vin et d’une chaudière d’une capacité de 25 hectolitres. Cet alambic permet à la maison de distiller 100% de la récolte sans avoir à recourir à un distillateur externe. La distillation des eaux-de-vie composant la liqueur Deljoy s’effectue sans les lies de façon à obtenir un distillat plus fin et adapté au profil aromatique de la liqueur.
Vieillissement et assemblage
Les jeunes eaux-de-vie sont placées dans des fûts neufs de chêne à grain fin et moyen avant d’être transférées dans des fûts roux au bout de quelques mois une fois le niveau d’extraction désiré atteint. Les fûts utilisés ont une contenance de 350 litres qui constitue le « meilleur rapport qualité/taille » selon Frédéric.
Le processus d’assemblage de Deljoy a duré environ deux ans et a nécessité la confection de plus de 500 échantillons afin de parvenir à l’équilibre souhaité entre les différentes composantes. Frédéric a tout d’abord sélectionné des cognacs frais et aromatiques avant de tester leur compatibilité avec différents agrumes. Au total, le cognac constitue 30% de la liqueur. 7 agrumes ont été retenus ainsi que quelques épices d’origine asiatiques complètent la formule de façon à complexifier et souligner le fruité et la fraîcheur de l’ensemble.
Une liqueur polyvalente
Pourquoi une liqueur et non un cognac ? Pour Frédéric, grand amateur de liqueurs et de mixologie, c’est l’attrait pour cet univers et la possibilité d’exprimer sa créativité et ses propres goûts qui l’ont poussé à rentrer sur le marché par cette porte. L’idée était de pouvoir proposer un produit qui s’adapte aux palais et besoins actuels des consommateurs (moins de sucre, plus de complexité aromatique, à base de produits naturels) à travers trois modes de consommation : dégustation pure sur glace, en cocktails long drinks (type spritz, fizz) et short drinks (sidecar, margarita…). Le but étant de créer un produit qui puisse plaire à la fois à un sommelier, à un chef cuisinier ou un pâtissier (beau potentiel en sorbet par exemple, dans la préparation d’une tarte aux agrumes, dans un ceviche…) ainsi qu’à un barman. La liqueur de cognac et d’agrumes Deljoy est donc née du constat qu’il était difficile de trouver sur le marché une liqueur qui se prête à ses différents modes de consommation.
Une bouteille dans l’air du temps
Par son poids allégé (-150gr), l’utilisation d’un bouchon en hêtre naturel et son absence d’étiquette, la maison Delpeuch-Joyeux minimise l’impact du packaging sur l’environnement. Une utilisation minimale de sucre a également été privilégiée (moins de 200gr de sucre par litre) pour apporter plus de légèreté et de vivacité à sa liqueur d’agrumes et de cognac. Comptez environ 39€ la bouteille. Vous pouvez acquérir la liqueur Deljoy directement à la propriété ou sur certains revendeurs en ligne (La Cognathèque, La Compagnie du Mieux Boire…).
Notes de dégustation
Une bouteille a été gracieusement fournie par le producteur. Trois dégustations ont été effectuées afin de tester la liqueur sur trois températures de service différentes. Compte tenu de la sucrosité, des verres disposant d’une contenance supérieure aux verres tulipes sur pied utilisés habituellement ont été cette fois privilégiés.
1ère dégustation à température ambiante dans un verre Glencairn.
Couleur : or pâle.
Nez : assez suave avec des notes d’orange confite, de confiseries (berlingots, dragées), d’agrumes (pamplemousse, fleur d’oranger, de kumquat, de citron de Nice). Le second plan est marqué par des notes plus discrètes d’estragon et de noisette. Une pointe de gingembre et de cannelle complète l’ensemble.
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est tonique et témoigne d’une vivacité peu attendue sur une liqueur. La bouche est texturée sans être lourde ou douçâtre. On trouve des notes d’orange sanguine, de sirop de pamplemousse, de citron vert. Une fine amertume se développe en finale, accompagnée d’une très légère âpreté qui contrebalance la sucrosité. Une trame acidulée parcourt l’ensemble et étire une finale plutôt longue et fraîche.
2ème dégustation dans un verre Glencairn rafraîchi
Nez : moins expressif, moins suave. Notes de mandarine, de fleurs (églantine). A l’arrière-plan on distingue des notes de poivre vert et de muscade.
Bouche : l’attaque est un peu plus ronde. Le milieu de bouche témoigne d’une acidité plus traçante. Des notes d’orgeat, d’orangeade et de confiture d’écorce d’orange se font sentir. La finale est plutôt longue.
3ème dégustation sur glace dans un verre à cognac
Nez : nettement moins expressif du fait de la température de service, le nez reste frais avec des notes de confiseries (berlingots) et d’orangeade. On retrouve une fraîcheur légèrement herbacée.
Bouche : la bouche devient plus nerveuse et légèrement astringente : la sucrosité est domptée par le froid ce qui fait ressortir les amers et l’acidité. On retrouve des notes d’orange confite, de gingembre confit, de baie de timut et d’estragon. La finale est plus courte du fait de la dilution progressive.
Commentaires
La liqueur Deljoy est intéressante car le ratio entre le sucre, l’acidité et l’amertume est particulièrement équilibré ce qui lui assure une belle polyvalence tant dans le service que dans l’utilisation. En outre, elle présente au nez une certaine complexité là où la plupart des liqueurs sont plutôt monolithiques. Une température ambiante permettra à l’aromatique de se déployer tandis que des températures de service plus basses feront perdre le nez en expressivité mais gagner la bouche en tension. Tout au plus regrettera-t-on un prix légèrement élevé compte tenu du faible degré d’alcool.
Ce qu’il faut retenir
La liqueur de cognac et d’agrumes Deljoy est produite par la Maison Delpeuch-Joyeux, propriétaire d’une trentaine d’hectares d’ugni blanc en Grande Champagne et bouilleur de cru. S’appuyant sur un savoir-faire et une histoire centenaires, Frédéric Delpeuch, 5ème génération, a décidé de relancer le négoce en commercialisant une liqueur rafraichissante à la fabrication maison. Composée de 30% de cognac, 7 agrumes et quelques épices, cette liqueur fait preuve de complexité et de polyvalence ce qui la destine tant à la dégustation pure qu’à la mixologie. La teneur réduite en sucre apporte également plus de vivacité qui lui permettra également d’intégrer la préparation de certains mets.
(photo de couverture par Konstantin Rein)
